Antigone
de Sophocle
Mise en scène de Christine BERG
Avec
Delphine BECHETOILLE (Ismène) , Christine BERG (Eurydice), Valentin BORAUD (Hémon), Jean-Michel GUERIN (Tirésias), Camille PLOCKI (Antigone), Stephan RAMIREZ (Créon), Gisèle TORTEROLO (la Vieille), Jean-Louis WACQUIEZ (le Familier)
Traduction et adaptation de Philippe DEMAIN
Scénographie
i&mt
Lumières de
Jean-Gabriel VALOT
Construction des décors
Florent GALLIER
Régie
Morgane BARBRY
Coproduction
Grand Théâtre de Calais / Espace Jean Vilar de Revin
Administration
Fabienne CHRISTOPHLE / G.E.F.
La compagnie ici et maintenant t h é â t r e est conventionnée avec le Conseil Régional Grand Est et la Ville de Châlons-en-Champagne. Projet soutenu par le Conseil Départemental de la Marne et la DRAC Grand Est (aide à la production). Avec la participation artistique du Jeune théâtre national.
LA PIECE
Lorsque débute Antigone, la cité de Thèbes s’est dotée d’un nouveau souverain en la personne de Créon. Son avènement fait suite à la lutte fratricide aux portes de Thèbes entre Étéocle et Polynice, les deux fils incestueux d’Œdipe.
Après le départ de celui-ci, les deux fils doivent chacun régner un an à tour de rôle. Étéocle, qui règne le premier, refuse de remettre le trône à son frère, et celui-ci décide de prendre la cité de ses ancêtres par la force avec l’aide de ses guerriers argiens. De ce point de vue, Étéocle est le défenseur de la cité assiégée tandis que Polynice en est l’agresseur. Alors que le combat fait rage aux sept portes de la cité, les deux frères s’entre-tuent et gisent sur le champ de bataille. Thèbes est sauvée de l’invasion, et l’heure n’est plus à la bataille, mais aux démonstrations de joie des citoyens et à l’enterrement de ceux qui sont tombés.
Créon devient donc le nouveau souverain de Thèbes. Devant une assemblée de citoyens acquis à sa cause, il leur dicte ce qu’il compte faire des dépouilles des fils d’Œdipe. Créon considère Étéocle comme le défenseur de la cité, qui a donc agi de manière juste et honorable et qui mérite en conséquence de recevoir des funérailles convenables. En revanche, il juge Polynice coupable d’avoir osé, acte sacrilège, attaquer sa cité et ses concitoyens et décide de ne pas honorer sa dépouille, de la livrer « aux chiens et aux oiseaux » ; il interdit quiconque, sous peine de mort, de lui accorder les derniers rites et place des gardes près du corps du défunt afin de faire respecter sa volonté. C’est une décision qu’il estime juste car elle va dans le sens de l’ordre prévalent dans la cité ; pour lui, un chef digne de ce nom n’honore pas à la fois le juste et l’impie.
Les filles d’Œdipe, Antigone et Ismène, apprennent les ordres proclamés. Antigone décide de braver l’interdit et d’accorder les derniers rites à son frère ; elle le fera seule, car Ismène n’ose pas braver les lois de Créon. Antigone considère que l’on doit avant tout respecter la justice divine, qu’elle estime supérieure aux lois humaines, et que l’on doit en conséquence exécuter les rites qu’ordonnent les dieux.
Découverte par un garde, elle est emmenée auprès de Créon afin qu’elle réponde de son acte. Elle ne cherche aucunement à le dissimuler et le revendique même avec orgueil.
Malgré les mises en garde et les suppliques adressées à Créon par l’assemblée des citoyens, ainsi que par Hémon, son fils et fiancé d’Antigone, tous considèrent que l’acte de la jeune fille est teinté de légitimité et de piété divine, et que le souverain n’a rien à gagner en faisant outrage à un mort déjà mort. Malgré cela, il la condamne à être enterrée vivante.
Ce n’est que lorsque le devin Tirésias prédit à Créon de terribles malheurs pour lui et sa famille qu’il rétracte son jugement, bien tard, trop tard…
NOTES DE MISE EN SCENE
Il est des œuvres majeures auxquelles on éprouve tôt ou tard la nécessité de se confronter. Il y a eu Peer Gynt, Hernani, L’illusion comique…aujourd’hui il y a Antigone.
Comment ne pas être sensible à un débat aussi essentiel dans notre culture millénaire, à une si grande et belle figure de révolte, à une œuvre aussi pure et tranchante. Et peu importe qu’elle ait 2500 ans…
Antigone est pourtant bien une tragédie au sens où les points de vue sont irréconciliables et ne peuvent mener qu’à la mort. L’obstination de chacun des protagonistes nous ramène à cette obscurité qui pourrit en nous, à cette incapacité à grandir, à constituer une véritable communauté, à nous éloigner enfin de la meute de chiens que nous sommes encore. Antigone est une pièce contemporaine parce que comme tous les chefs d’œuvre, elle ne traite que de la condition humaine, misérable et pourtant vaillante, dans sa rage de vivre et sa difficulté à le faire ensemble ; il faut bien des lois pour ne pas se déchirer toujours, et il faut bien que ces lois soient justes, mais où est la justice ? Qui la rendra ?
La justice du cœur, celle d’Antigone, est-elle la seule entendable ? La justice de la cité, du bien commun, se fait-elle forcément au détriment de l’autre ?
Il faut donner (ou plutôt laisser) à cette pièce toute la résonnance contemporaine qu’elle possède.
C’est pourquoi nous allons la faire exister comme une tragédie familiale, au sens strict celle des Labdacides, mais actuelle, dans un décor et des costumes contemporains : la salle à manger du banquet au moment de l’accession au trône de Créon, en présence de toute la famille.
Une tragédie familiale est un huis-clos fondé sur le silence et donc sur une ultra-violence refoulée. Mais une tragédie familiale est aussi l’image microscopique de la société toute entière, avec ses tyrannies, ses révoltes, ses accommodements, ses secrets et ses révélations.
Tous les protagonistes de cette histoire seront en scène en permanence, sous le regard de la grand-mère (le Chœur) sorte de Bienveillante immanente. Le réseau de relations qui se tissent alors devient d’une incroyable et violente complexité entre Créon, Antigone, Ismène, Hémon, Eurydice la mère et 2 personnages se partageant les coryphée-garde-messager-Tirésias, un vieil Oncle et un Conseiller. Le débat est une empoignade féroce ; il est en même temps d’une grande subtilité dialectique et bien que l’acte d’Antigone soit donné d’emblée, une tension fiévreuse tient la pièce. C’est ainsi que Georges Steiner peut affirmer qu’Antigone est une tragédie de l’impatience…
Même si la pièce est un long thrène dont l’issue semble acquise, on peut, on doit croire à chaque instant, espérer qu’on convaincra l’autre, qu’une concorde est possible.
Parce qu’au fond, elle existe, cette concorde, nous la désirons, nous la cherchons et elle nous échappe et la mort est là.
On sait bien que les grecs ont tout inventé et pourtant à chaque fois qu’on les réentend, c’est toujours un choc incroyablement vivant. Au présent.
Christine Berg

n/d
